BOUREIMA ALLAYE TOURE : « la société civile ne se taira plus ».
Fraichement réélu à la tête du Conseil National de la Société Civile (CNSC), Boureima Allaye TOURE a réservé sa première interview à notre journal. Une occasion pour le Président du CNSC de mettre les points sur « i » quand à certaines accusations qui le présentent d’être au service des princes du jour. Avant de préciser que la société civile ne se traira plus. « Toute administration qui veut être respectée est obligée d’aller dans le même sens que ses citoyens », insistera-t-il.
Vous venez d’être réélu à la tête du Conseil National de la Société Civile. Pouvez-vous revenir déjà sur le bilan de votre premier mandat ?
Boureima Allaye TOURE :
D’abord, je remercie tous les membres du Conseil National de la Société Civile, nos autorités, les citoyens pour lesquels, nous avons mis en place cette organisation pour le bien-être de tous les maliens.
Le Conseil a été créé depuis 2003. On l’a créé à un moment où il n’y avait pas beaucoup de faitières. Pendant toutes les crises, nous avons été présents, malgré les critiques des gens, à cause de la lenteur dans l’accomplissement de nos missions, oubliant que la société civile souhaite aller dans la légalité. Le Conseil National de la Société Civile a contribué aux accords de Tamarassek en 2006. Ensuite, la crise de 2012, jusqu’à l’organisation des élections présidentielles en 2013. Nous avons demandé officiellement la tenue des élections quand les autres disaient non. Et nous avons pu tenir les élections. Le régime d’Ibrahim Boubacar KEITA est arrivé, nous l’avons accompagné, mais nous avons aussi dit non à sa gouvernance lorsqu’il il y a eu des manquements.
Les moments forts de nos plaidoyers sont faits pendant les présentations des vœux. Et à chaque vœu, nous critiquons ce qui ne va pas. On le dit dans la légalité. Nous faisons des propositions aux gouvernants. Nous ne sommes pas des partis politiques d’opposition qui ne donnent pas la recette à ceux qui sont au pouvoir. Pour nous, ceux qui sont au pouvoir doivent nous donner des meilleures conditions de vie. Et si nous avons des propositions, nous le faisons. En 2019, avant le M5-RFP, les membres de la société civile ont alerté pour dire qu’il y a un risque énorme dans la gouvernance.
Que répondez-vous à ceux accusent votre organisation d’être un instrument au service des princes du jour ?
B. A. TOURE : nous n’avons jamais été ni proches ni loin des autorités. Notre mission est la veille et le contrôle citoyen de l’action publique. Les gens disent que nous sommes proches du pouvoir, mais nous n’avons jamais été dans un gouvernement. La preuve est que pendant la transition de Dioncounda TRAORE, il nous a été demandé de proposer des CV, mais nous leurs avons écrit officiellement que nous ne voulons travailler dans aucun gouvernement, car, nous ne pouvons pas être juge et partie à la fois. Nous voulons rester dans notre mission de veille et de contrôle citoyen de l’action publique. Malheureusement, on constate que certaines organisations qui se disent membres de la société civile entrent dans le gouvernement. Chose que nous regrettons mais nous ne pouvons pas les empêcher. Normalement, quand on fait un choix d’être membre de la société civile, c’est de ne pas conquérir ni exercer le pouvoir. A la différence des partis politiques qui veulent conquérir et exercer le pouvoir, nous c’est la veille citoyenne. Donc je ne vois pas comment est-ce qu’on est proches du pouvoir. Personnellement, je n’ai jamais été dans aucun parti politique ni proche d’un Ministre, mais j’essaie de prendre la distance qu’il faut au nom du Conseil National de la Société Civile pour ne pas entacher notre action de veille et d’alerte.
Nous constatons l’absence du Conseil National de la Société Civile dans l’animation des organes chargés de conduire la transition, en occurrence le Conseil National de Transition. Il nous revient même, que vous avez proposé des noms qui n’ont pas été retenus par le Col. Assimi Goita. N’est-ce pas une façon de dire que vous ne comptez pas ?
B. A. TOURE : la réalité est que nous avons participé aux concertations nationales et la charte dit que la société civile doit désigner un représentant, mais je pense que tout le monde a vu la manière dont le CNT a été mis en place. On a tous vu une liste circulée sur les réseaux sociaux. Nous ne savions pas d’où venaient les conseillers, et ça été validée par les plus hautes autorités. En février, nous avons dénoncé et demandé la dissolution du CNT. Donc, c’est pour vous dire que nous n’avons pas validé la manière dont le choix est fait. Malgré tout nous soutenons la transition. Si nous n’œuvrons pas pour amener le pays à sortir de l’impasse, les citoyens vont souffrir.
On peut tenter de minimiser la force du Conseil National de la Société Civile, mais cette force demeure, car, nous avons participé aux Assises Nationales de la Refondation (ANR).C’est pour dire que cela ne nous empêche pas de travailler.
Nous avons coopéré jusqu’à un certain moment où nous avons baissé les bras, parce que nous avons vu des nouvelles têtes qui représentent la société civile, mais qui ne sont pas membres du conseil national de la société civile. Nous ne prêtons pas de mauvaise intention aux autorités de la transition, mais nous disons qu’on est tous dans un apprentissage.
Le président de la transition est en passe de nommer les membres du comité de finalisation du projet de la nouvelle constitution, comment comptez-vous prendre votre place au sein de ce comité qui est en perspective ?
B. A. TOURE : d’abord je vais vous dire que nous figurions dans le premier comité mis en place, et ça nous a beaucoup réconfortés. Nos aspirations ont été prises en compte. Et pour la mise en place du comité de finalisation de ce projet, nous avons été consultés pour faire des propositions. Nous espérons bien y rester et finaliser ça. Nous sommes convaincus que la constitution de 1992 est dépassée. Alors sa révision est nécessaire. Mais la société civile a toujours refusé cette révision par la classe politique. S’elle révise, il y aura beaucoup d’articles qui ne seront pas respectés ou qui seront à leur profit. Aujourd’hui nous avons des personnes neutres au pouvoir et nous espérons qu’elles vont bien effectuer le travail.
L’insécurité, la cherté de la vie et la flambé des prix, sont des préoccupations nationales aujourd’hui, pourtant, on vous attend peu sur ces sujets ?
B A. TOURE : bien-sûr, nous sommes préoccupés par cette flambée qui touche toute la famille. Aujourd’hui nous avons des familles qui ne voient pas leurs enfants pendant cinq jours de la semaine du fait que la marmite ne se pose pas sur le feu et chacun se débrouille comme il peut. Au-delà de tout, nous avons la crise mondiale qui frappe tout le monde, et c’est une catastrophe pour le pays.
Pensez-vous que les réponses du gouvernement sont assez costauds pour minimiser les effets de ces flambées sur la population ?
B. A. TOURE : il faut dire que les autorités ne sont pas restées inertes. Beaucoup de céréales ont été distribuées. Ce qui a manqué c’est le suivi, car, distribuer les aliments aux populations sans les suivre c’est aussi du détournement. En aucun cas, le partage serait équitable. Je salue le Président de la transition qui a diminué le train de vie de l’Etat pour donner l’eau aux populations. Sur le plan sécuritaire, personne ne peut dire aujourd’hui que les autorités n’ont pas la volonté de lutter contre l’insécurité. On ne peut pas dire que tous les problèmes sont résolus, mais ils sont là-dessus. J’invite tout le monde à l’unité nationale vers la sortie de crise.
Si on veut aller vers la sortie de crise par l’adoption d’une nouvelle constitution, par l’organisation des élections, la société civile est partante. Nous ne pouvons pas rester dans une position, nous retranché hors du concert des nations. Il faut qu’on rentre dans le concert des nations. Nous avons réaffirmé notre souveraineté à tout point de vue et revu notre diplomatie pour défendre nos intérêts et c’est une grande avancée mais ventre affamé n’a point d’oreille. Nous avons tous d’une manière ou d’une autre faim.
Etes-vous entrain de nous dire que l’impératif est d’aller aux élections ?
B. A. Touré : l’impératif c’est d’abord les reformes constitutionnelles et institutionnelles qui sont engagées. Il faut les amorcés. Et le prochain gouvernement se chargera de la poursuite de ce qui n’a pas pu être fait par la transition. Et c’est ce qui a été demandé par les Maliens lors des Assises nationales de la refondation.
La transition a un délai court et tout n’est pas possible dans ce délai court. Ce qui est faisable qu’on le fasse pour soutenir la sortie de crise et ce qui n’est pas faisable tout de suite, il faudrait attendre la nouvelle administration, car, les citoyens ne se taisent plus. S’il y a des insuffisances au sommet de l’Etat, la presse est là pour nous informer. Toute administration qui veut être respectée est obligée d’aller dans le même sens que ses citoyens sinon il va céder son poste et la société civile ne se taira plus.
Entretien réalisé par B. Sidibé
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