L’interview vérité de Soumaïla Cissé : “Un Président élu à 67%, il n’y a même pas eu un balani show” “Nous sommes dans un pays au rabais, où personne n’y croit. L’économie est atone”
Dans une interview accordée à un confrère de la place, le Chef de file de l’opposition républicaine, l’honorable Soumaïla CISSE, donne son point de vue sur l’actualité nationale. Il revient également sur sa carrière politique au Mali, les raisons de son refus d’accepter IBK comme Président, ses grandes œuvres au Mali, son passage dans les institutions internationales entre autres. Une interview croustillante où l’on perçoit mieux la vraie valeur du président du parti de la poignée de mains, l’URD.
Journaliste : Vous avez été successivement gouverneur à la Banque Africaine pour le Développement (BAD) pour le Mali, gouverneur de la Banque mondiale pour le Mali, gouverneur du Fonds Monétaire International (FMI) pour le Mali, gouverneur de la Banque Islamique pour le Développement pour le Mali, gouverneur à la Banque de l’Agriculture et du Développement Rural pour le Mali, mais qu’avez-vous fait pour le Mali pendant que vous étiez à ces postes ?
Soumaïla CISSE : Vous savez, c’est des postes extrêmement importants, les postes de visibilité pour notre pays. Vous êtes à un niveau de représentation où vous confrontez la politique mondiale en particulier et le libéralisme mondial qui prend le pas aujourd’hui sur toutes les politiques économiques. Je crois que pendant ces périodes ce qu’il faut dire c’est la réussite de l’équilibre macroéconomique dans notre pays. Vous savez. Un pays c’est comme un corps humain pour pouvoir lui administrer de bonne dose de médicament, il faut d’abord qu’il se porte globalement bien. Le rôle de ces grandes institutions c’est de faire en sorte que nos pays se portent globalement bien. Qu’en matière de dette, qu’en matière de déficit budgétaire, je crois que l’une de nos plus grandes réussites, c’est en 1997, après la dévaluation du franc CFA en 1994 qui a été un choc terrible pour l’ensemble de notre pays. Nous avons pu non seulement stabiliser notre économie très vite, nous avons trouvé des solutions pour faire face aux difficultés qui s’annonçaient et surtout à la panique générale qui gagnait le monde économique. Et j’ai pu annoncer en 1997 qu’un pays comme le Mali nous n’avons pas besoin d’être budgétaire. Et je crois que ça été une première dans la sous-région. Je vous assure que pendant toutes ses périodes, le Mali était l’un des rares pays de l’UEMOA à se passer d’aide budgétaire et surtout à être créditaire au niveau de la BECEAO. Ça a été des moments très forts et au cours de cette période, nous avons eu droit à la visite de tous les grands responsables de cette institution que vous avez cité… ils sont venus quelques parts voir quel est ce success stories que le Mali a eu et comment nous l’avons eu. Nous étions devenus une sorte de fierté de la sous-région. Aujourd’hui, je crois que c’est l’un des bilans très positifs que nous avons eu au niveau du ministère des Finances.
Journaliste : Au niveau du ministère des Finances, avec comme le Premier ministre à l’époque Ibrahim Boubacar KEÏTA ?
Soumaïla CISSE : Oui, bien sûr, Ibrahim Boubacar KEÏTA était là. Mais nous avions une large autonomie de gestion. J’avoue que je n’étais pas contraint du tout. Je gérais l’économie du pays et les finances du pays comme je le souhaitais. Je n’ai pas eu d’entrave. Je crois que l’une des grandes raisons de notre succès c’est que nous pouvions décider nous-mêmes, nous n’avions pas besoin de la tutelle de ni du Premier ministre ni du Chef de l’Etat. Je crois que c’est cette confiance qui nous a permis d’aller de l’avant. Nous étions assez volontaires à l’époque. Peut-être que la jeunesse est là. Et puis, nous étions fiers de nos résultats, j’avais une équipe extraordinaire comme l’ancien Premier ministre, Ousmane Issoufi MAÏGA, était mon directeur de cabinet ; des directeurs de douanes extraordinaire comme Samba DIALLO ; des impôts et au trésor, Dionké DIARRA et nous avons eu des résultats avec une équipe qui était très très fière. Jusqu’à aujourd’hui quand nous nous voyons nous sommes fiers du travail que nous avons pu faire à l’époque.
Journaliste : Ingénieur, informaticien de profession, vous avez mené une scolarité brillante. Vous vous êtes distingué très tôt dans les sciences. Après votre diplôme universitaire d’étude scientifique de Dakar en 1972. Vous vous êtes inscrit à l’université de Montpelier où vous avez décroché votre maitrise en méthode informatique appliquée à la gestion MUAG. En 1977, vous êtes ingénieur en informatique et en gestion, et major de votre promotion de l’institut des sciences de l’ingénierie de Montpelier. Votre carrière universitaire est couronnée au troisième cycle par un certificat d’aptitude d’administration des entreprises, obtenu en 1981 à l’Institut d’administration des entreprises de Paris. Vous avez travaillé au sein des grandes entreprises françaises, IBM France, le groupe PECHINELLE, le groupe TOMSON, la compagnie aérienne AIR-inter avant de rentrer au Mali en 1984 pour travailler à la CMDT. Vous avez créé l’ACI, d’ailleurs vous fûtes le premier directeur. La cité administrative par exemple, Vous l’avez réfléchie et conçue en cherchant des financements…
En 2002, vous avez été investi candidat de l’Adema-PASJ à l’élection présidentielle. Est-ce que quelque part ce n’est pas ça qui vous a, peut-être, mis un petit peu en conflit avec IBK à l’époque ?
Soumaïla CISSE : Oui, on a eu un conflit. Mais ce n’est pas des conflits de personne ; que des conflits d’idées, des conflits de positionnement. Nous avons pu faire des primaires à l’Adema. C’était une première dans la sous-région. Nous avons fait un vrai primaire. Nous avons fait une vraie campagne non seulement au Mali mais aussi à l’extérieur… quand on faisait des primaires en 2002, IBK n’était plus à l’Adema…
Journaliste : maintenant vous avez fini par quitter l’Adema. Après les élections présidentielles de 2002, vous aviez quitté l’Adema. Est-ce que vous vous êtes senti quelque part trahi ?
Soumaïla CISSE : Bien sûr, je me suis senti trahi. Quand on gagne les primaires. Quand on fait l’effort de mobiliser. Quand on gagne les primaires de façon transparente. Un vote qui s’est fait au palais des congrès en public. Tout le monde est allé voter en public. Le dépouillement a été fait en public. Le résultat était flagrant. A partir de là, j’étais en droit de penser que l’ensemble du peuple Adema allait se mettre derrière moi, en particulier les principaux responsables. Malheureusement, je n’ai pas eu ça (rire). Mais j’ai eu une mobilisation contre moi à l’intérieur de l’Adema. Ça m’a affaibli, mais ça ne m’a pas empêché quand même d’arriver au second tour. Je crois que je m’en félicite d’être arrivé au second tour. A partir de là, on a essayé (le groupe qui me soutenait) de rester à l’intérieur de l’Adema. Nous avons presque eu une année d’incompréhension. C’est en juin 2003 que nous avons décidé de quitter l’Adema et de créer l’URD. Jusqu’après les élections, nous nous sommes positionnés très vite comme deuxième force politique au Mali.
Journaliste : on va passer tout de suite à l’élection présidentielle de 2018. Malgré la présence des observateurs maliens, africains, européens, etc. Bien qu’ils aient dit qu’il y a eu quelques irrégularités, mais dans l’ensemble, ils ont accepté l’élection. Vous ne reconnaissez pas le Président IBK, mais pourquoi ?
Soumaïla CISSE : Vous savez, en 2013 il y a eu beaucoup de fraudes. Il y avait beaucoup d’implications de la junte militaire, beaucoup d’implications des religieux, beaucoup d’implications de certains pays étrangers. Le pays était extrêmement fragile. J’ai pris sur moi à l’époque de reconnaitre les résultats. Bien que, j’ai fait un gros pavé pour expliquer partout qu’il y avait eu des irrégularités. Pour Montrer que les élections n’étaient pas sincères, pas si crédibles que ça. Nous avons mis en avant le pays. Et je pensais que très honnêtement on allait en tirer des leçons. Dans la période où j’animais l’opposition, j’ai surtout essayé d’améliorer le système. Je me suis porté moi-même chez le ministre de l’Administration Territoriale. J’ai fait des propositions pour essayer d’améliorer les choses. J’ai fait mettre des commissions en place. Malheureusement, la majorité n’a jamais vraiment suivi pour participer à ces commissions. En 2018, on se rend compte que les choses ont empiré. Je ne suis pas le seul à avoir dénoncé les irrégularités. Sur les 24, il y a au moins 23 qui ont estimé qu’il y a eu tricherie, que les élections se sont très très mal passées. Nous étions confrontés, nous de notre côté à une problématique : Est-ce qu’on boycotte tout ou on essaye de sauver la démocratie malienne?
Ça nous paraissait un bon challenge d’essayer de sauver la démocratie malienne, d’accepter d’aller au 2ième tour. Tout en dénonçant les irrégularités, en attirant l’attention de tous nos partenaires pour que les choses puissent s’améliorer. Malheureusement, elles ne se sont pas améliorées. Le problème qu’on a de plus en plus avec les observateurs, particulièrement les observateurs étrangers, ils observent très peu mais ils donnent des résultats très généraux. Vous avez 2% d’observation par exemple. Je pense l’union européenne qui est l’un des gros mastodontes de l’observation qui observe 2% des bureaux de vote qui se situent essentiellement au sud du Mali. Ils ne sont pas allés au-delà de Mopti et qui généralisent en disant que tout s’est bien passé. Qu’il n’y a pas eu de fraudes. Demain, ils vont faire une conférence de presse. J’ai jeté un coup d’œil dans leur rapport mais il est truffé de choses qui vont dans le sens contraire de ce qu’ils concluent. Ils reconnaissent par exemple à Tessalit qu’il y a eu plus de votants que de cartes d’électeurs distribuées. Eux ils ne disent pas pourquoi, mais le pourquoi c’est la fraude… nous avons pris des carnets entiers avec des gens. Tout ça c’est de l’autorité publique. On ne peut voir tout ça et faire comme si de rien n’était. Ce qui nous importe le plus c’est d’avoir une démocratie critique, pas une démocratie de faire-valoir. Faire-valoir, ça veut dire bon, on va aux bureaux de vote. On vole ton vote et puis on accepte ce qui sort et puis voilà on continue. C’est de construire sur le mensonge. Nous ne pouvons pas accepter que notre Président soit élu par la triche. Et que demain nos députés soient élus par la triche, et que nos maires soient élus par la triche. Nous allons payer les conséquences de cela pendant longtemps. Parce que nous ne pourrons jamais avec ce système mobiliser les masses populaires, mobiliser les maliens pour les projets réels de développement. Parce qu’il n’y a pas d’enthousiasme tout simplement. Il n’y aura pas de vraie mobilisation. Aujourd’hui, vous voyez, on dit qu’un Président est élu à 67%, il n’y a même pas eu un balani show pour lui ! il n’y a même pas eu une manifestation de joie pour lui. Aujourd’hui, nous sommes dans quel pays ? Nous sommes dans un pays au rabais. Nous sommes dans un pays de la dépression, où personne n’y croit. L’économie est atone. Tous les jours, il y a des attentats sur la sécurité. Tous les jours les enfants se plaignent et les jeunes se plaignent du chômage. Si le Président avait été élu sincèrement avec ce pourcentage, je crois qu’il aurait eu beaucoup d’enthousiasmes et tout le monde se serait mis au travail. On n’a pas besoin des chiffres pour ça, on n’a pas besoin de la communauté internationale pour ça. On regarde concrètement comment les maliens se comportent ? Qu’est-ce qu’ils disent dans la rue ? Comment ils font dans la rue par rapport à la chose publique ? On se rend compte que cela n’est pas vrai. Nous avons dit que nous n’allons pas reconnaitre les résultats de la fraude. Mais nous avons été très clairs et nous nous sommes assumés. Si le Président est élu comme il le dit. Il est reconnu par l’ensemble des chefs d’Etats, par l’ensemble de la communauté internationale, notre pays devrait aller tranquillement bien et que Soumaïla CISSE seul avec son équipe qui ne représentent, comme ils le disent, rien du tout. Surtout, nous n’avons commis aucun acte de violence ni pendant les cinq ans que j’ai assuré la tête de file de l’opposition, ni pendant les périodes postélectorales. Toute violence qu’il y a eu, c’est de la violence faite par le gouvernement. Nous avons été violentés jusque dans nos bureaux. Y compris les jours de l’élection où le soir de l’élection nos services de communication ont été attaqués. Nos cadres ont été enlevés, emprisonnés. Certains ont fait quinze jours de garde à vue contrairement à la loi…